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BETOINE

BETOINE

Betonica officinalis L.

syn : Stachys officinalis (L.) Trevis

Article révisé en Août 2019

un groupe de Bétoines en AUBRAC
au Col de Bonnecombe
(Lozère, 48)

Noms vernaculaires :

Bétoine officinale ou Epiaire officinale, Bétoine pourpre, Tabac des gardes

BOTANIQUE

Famille des Lamiacées (Labiées)

Plante vivace, pérenne à partir d’un rhizome d’où partent de nombreuses racines ; tige dressée, quadrangulaire, de 30-40cm, parfois 60 cm ; rosette basale de feuilles longuement pétiolées, ovalaires et cordiformes ; le long de la tige, les feuilles pétiolées sont opposées, velues, au limbe légèrement crénelé.
Les inflorescences sont en épi terminal, fait de verticilles superposés, de couleur pourpre à rose foncé ; chaque corolle est bilabiée : la lèvre supérieure est dressée, l’inférieure est trilobée ; chaque fleur ayant 4 étamines.
Les fruits sont des tétrakènes.

Note : Autres espèces :
au sein du genre Stachys, de nombreuses autres variétés poussent de façon endémique en Anatolie, sur les plateaux iraniens, en Arménie et en Azerbaïdjan : ce sont les Stachys annua, inflata, iberica, persica, lavandifolia, laxa...
Stachys byzantina ou Epiaire laineuse est une belle labiée duveteuse orientale, cultivée comme ornementale.
Stachys palustris est l’Epiaire des marais qui, en France, pousse dans les marais et les pelouses humides.

HABITAT 

La Bétoine est répandue sur toute l’aire Européenne, jusqu’au Caucase, en plaine et en montagne jusqu’à 1700m d’altitude.
Elle pousse dans les prairies, les alpages, sur les talus, sur les ourlets de bois clairs, dans les clairières forestières. Elle est bio-indicatrice de prairies favorables à la production laitière.

Bétoines sur le chemin de Cépedelle
à PONT de MONTVERT
(Lozère, 48)

USAGE MEDICINAL 

1) Historique et usages traditionnels

A l’origine, le nom de la plante semble venir d’un peuple celto-ibérique, les Vettones, installés dans la région de l’actuelle Salamanque et Avila en Espagne, qui l’utilisait à des fins médicinales. Les Gaulois l’appelaient par ce nom « vettonica » et la considéraient aussi comme une plante sacrée, chassant les esprits mauvais, et purificatrice. Nous le savons par Antonius MUSA, médecin de l’empereur AUGUSTE ( -27 av. JC à + 14 après JC) à qui fut attribué un traité médical exclusivement consacré à cette plante : « De herba vettonica ». Une foule de bonnes vertus y était décrite.

CELSE (Aurelius Cornelius CELSIUS) qui vécut à Rome à la même époque cite la plante dans son Traité de Médecine comme utilisée (parmi d’autres), localement et par voie interne, dans les morsures de serpents et d’animaux.

DIOSCORIDE, médecin et botaniste grec du 1° siècle de notre ère, en Asie Mineure, décrit cette plante appelée par les grecs « cestron » et par les latins « betonica », mais aussi nommée « psychotrophos ». Il dit que « ses racines font vomir le phlegme ». En infusion miellée, elle est donnée à la dose d’une drachme « aux spasmés », mais « à la dose de 3 drachmes dans un sestier de vin pour les morsures d’animaux venimeux ; ce que fait pareillement l’herbe emplâtrée sur la morsure ». « Elle guérit le mal caduc et semblablement les frénétiques ». Elle est donnée aussi « à ceux qui sont travaillés du foie, et aux défauts de la rate », et « aux estomacs débilités ». « Bue en eau, elle aide aux sciatiques et aux douleurs de vessie et des reins », indiquée encore « aux hydropiques, affligés de fièvre » ; « Elle guérit la jaunisse ». « Elle provoque l’urine...elle provoque le flux menstruel ; purge le corps ; elle profite aux phtisiques et aux crachements boueux ».

Au V° siècle, le PSEUDO-APULEE, dans le premier chapitre de son herbier (« Herbarius »), recommande la Bétoine dans une somme de pathologies de la tête : fractures du crâne, céphalalgies, cécité, otalgie... et pour divers troubles digestifs.

Jusqu’au Moyen-Âge, la plante fut vantée en suivant les indications des médecins de l’antiquité, particulièrement estimée comme vulnéraire pour les blessures crâniennes. La Bétoine fait partie des 24 plantes cultivées dans l’Hortulus, ou jardin monastique, dont s’occupait le moine Walafrid STRABO, devenu en 838 abbé du Monastère de Reichenau en Allemagne. C’est un topique des plaies de la tête, un vulnéraire qui n’a d’égal que l’Aigremoine, dont le secours est indispensable « lorsque le glaive ennemi a creusé une blessure dans nos membres ».

Au Moyen-Age, la plante fut aussi largement fumée sous le nom de « tabac des gardes ».

Au XVI° siècle, MATTHIOLI, médecin italien commentateur de DIOSCORIDE, reprend les indications antiques : pulmonaire, vulnéraire céphalique, sciatique... Il l’indique dans la jaunisse, et pour les affections abdominales (colitiques), associée au PLANTAIN.

Nicolas LEMERY, au XVII° siècle, chimiste et apothicaire à Paris à l’époque de Louis XIV, résume dans son Dictionnaire universel des drogues simples : « La Bétoine fortifie le cerveau et le cœur ; elle est vulnéraire ; on l’emploie intérieurement et extérieurement ; elle entre dans les sternutatoires ». Elle rentrait dans la composition de la plus célèbre des Eaux Vulnéraires que fut « L’Eau d’Arquebusade  ». Sa préparation décrite par LEMERY, était obtenue par macération prolongée dans l’alcool de plantes aromatiques, puis distillation. Elle était versée sur les plaies par épées ou par armes à feux, pour ses vertus antiseptiques et cicatrisantes.

Au XVIII° siècle encore était fort employé « l’EMPLÂTRE de BETOINE  ». La Pharmacopée Universelle nous apprend que cet « Emplastrum de Betonica » était préparé à base d’un mélange de feuilles de BETOINE, LAURIER, PLANTAIN, VERVEINE pilées dans un mortier, puis chauffées doucement avec de la RESINE de TEREBENTHINE, de la POIX, de l’OLIBAN... Cet emplâtre était spécialement réservé pour la guérison des plaies de la tête. « Il déterge et cicatrise, on peut s’en servir aussi pour les autres plaies ».
La Bétoine rentrait aussi dans la composition du Baume polychreste de BAUDERON avec d’autres vulnéraires comme la Grande Consoude, la Bugle, la Sanicle, le Millepertuis, la Millefeuille...

MERAT de VAUMARTOISE, médecin et botaniste à Paris au début du XIX° siècle, rapporte dans son Dictionnaire universel de Matière Médicale que quelques médecins ont continué d’utiliser la Bétoine dans les affections catarrhales (des voies respiratoires) ; mais qu’à son époque, « elle n’était plus guère utile que comme sternutatoire » (c’est-à-dire pour provoquer l’éternuement) et « on conseille de la fumer comme sialagogue » (c’est-à-dire pour activer la sécrétion d’un salive insuffisante).

CAZIN, en 1868, dénigre la liste des indications anciennes de la plante, selon lui surestimée ; pour ne retenir, suite aux expérimentations des Dr. SCOPOLI et GILIBERT, que l’indication respiratoire dans les catarrhes bronchiques.

une belle Bétoine dans le Bois du Parc
à MAILLY LE CHÂTEAU (Yonne, 89)

2) Composition & Pharmacologie 

La composition de la Bétoine, établie au XX° siècle, révèle la présence de :
 tanins (15%)
 des flavonoïdes, qui sont des anti-oxydants
 surtout des « Bétaïnes » qui sont des composés azotés, dont :
la Choline : un composant indispensable à la synthèse des membranes cellulaires, et à la synthèse de l’acétylcholine, un neurotransmetteur.
la Bétaïne, également trouvée en grande quantité dans la betterave, participe au réglage de l’osmolarité ; et assure un rôle protecteur de la plante contre les conditions extrêmes (du froid, de la sécheresse, et de la salinité). Elle a été proposée chez l’homme pour traiter les troubles dyspeptiques liés à la « surcharge du foie », notamment en cas de stéatose hépatique chez l’alcoolique, et pour faire baisser le taux de triglycérides.

La Stachydrine : un dérivé d’acide aminé (proline bétaïne) ayant un effet préventif du risque cardiovasculaire, en particulier l’hypertrophie cardiaque. Par ailleurs, elle augmente les contractions utérines, tout en réduisant les saignements utérins.

La Bétonicine, également un dérivé azoté d’acide aminé (une hydroxyproline bétaïne), considérée comme un alcaloïde ; présente aussi chez l’Achillée Millefeuille, le Marrube blanc, et l’Epiaire des bois, elle est un inhibiteur de la transmission des résistances entre bactéries. Cette propriété intéresse les infectiologues.

 des acides phénoliques, dont :
L’acide caféique, retrouvé chez la Sauge, les Menthes, le Thym... est un polyphénol dérivé de l’acide cinnamique. Il empêche l’oxydation des lipides, et protège les cellules contre l’agression des radicaux libres.
L’acide chlorogénique, présent également en grande quantité dans le café. Il a des propriétés antibactérienne, antivirale, et antifongique ; ainsi qu’une action métabolique de réduction pondérale et du risque cardio-vasculaire.
L’acide rosmarinique  : est bactéricide.

 des terpénoïdes, parmi lesquels :
des iridoïdes : dont l’Harpagoside, un anti-inflammatoire, antalgique.
et des triterpènes, dont des saponines : qui sont des émulsifiants fréquents chez beaucoup de végétaux ; ils modifient la perméabilité cellulaire. Souvent toxiques pour les poissons ; leur toxicité provoque une hémolyse des globules rouges.

 enfin, un peu d’Huile essentielle qui contient :
. de l’alpha-pinène  : un monoterpène présent chez de nombreuses labiées ; il est antiseptique, anti-inflammatoire et expectorant ;
. du 1-octen-3 ol (ou octénol) un alcool chimio-attracteur de moustiques ;
et surtout des sesquiterpènes, parmi lesquels :
. du Béta-Caryophyllène (jusqu’à 50% de l’HE) : qui a des propriétés anti-inflammatoires ;
. et du Delta-Germacrène (10% à 20% de l’HE) qui est antibactérien et antifongique.

Dans les inflorescences, se trouve aussi du trans-béta-Farnésène, une phéromone qui attire les insectes.

des Bétoines dans le Bois des Châtaigniers
à MIGE (Yonne 89)

3) INDICATIONS THERAPEUTIQUES de la BETOINE

Dans la famille des Labiées, la Bétoine est une « aromatique douce »
 légèrement tonique,
 tout en étant sédative du système nerveux : céphalées, névralgies faciales, énervement... et sédative respiratoire (dans l’asthme).

 C’est une plante des voies respiratoires. Par ses propriétés cumulées : béchique (calme la toux), expectorante, et anti-infectieuse, elle est indiquée dans les catarrhes des voies aériennes (bronchites et trachéo-bronchites) ; et dans les sinusites chroniques.

 La plante est un bon vulnéraire, dont la réputation a résisté aux siècles, tout spécialement « vulnéraire céphalique », c’est-à-dire indiquée pour les plaies de la tête, au niveau facial ou du cuir chevelu ; elle « resserre les tissus », tout en étant anti-infectieuse. Mais elle peut s’employer aussi pour toute autre plaie corporelle. Le Dr Henri LECLERC dans les années 1920 l’utilisait encore avec succès dans les plaies infectées et les ulcères variqueux. Des études in vitro ont montré l’action bactéricide de nombreuses variétés de Stachys sur le Staphylocoque, l’Escherichia Coli, les Klebsiellas, et le Pseudomonas aeruginosa.

 C’est une plante «  digestive » : si ses racines à fortes doses sont émétiques et provoquent des « diarrhées purgatives », à posologie adaptée la plante est stomachique, cholagogue (facilite l’écoulement biliaire vers l’intestin), réduit les ballonnements et flatulences ; elle est astringente dans les diarrhées.

 enfin : la Bétoine est fébrifuge.

Noter la CONTRINDICATION d’emploi chez la femme enceinte, du fait de l’action contracturante utérine de la Bétoine.

AUTRE USAGE, cosmétique :
Les extraits de Bétoine, adoucissants, anti-oxydants, et astringents, rentrent dans la composition de crèmes adoucissantes et régénératrices de la peau.

RECOLTE 

Les sommités fleuries et les feuilles sont cueillies pendant l’été, par temps sec et ensoleillé ; à faire sécher en local aéré, à l’abri de la lumière. Conserver en bocaux ou en sachets-papier.

EMPLOI MEDICINAL et POSOLOGIE

 en INFUSION : des sommités fleuries et des feuilles ; 10-20 g/Litre, soit une pincée de 2-3 g par tasse de 150 ml.

 en DECOCTION pour usage externe : 100g/Litre selon LECLERC (soit 10g par 100ml d’eau bouillie) pour désinfecter une plaie infectée, ou un ulcère.

 en Macération dans du vin (VIN de BETOINE) à la même concentration que la décoction (soit 100 g par litre) pour usage externe de lavage de plaies.

 en EMPLÂTRE de feuilles pillées, ou en ONGUENT sur des plaies ulcérées.

 en poudre sternutatoire : un peu de poudre de fleurs ou feuilles séchées à l’entrée des narines provoquent des éternuements qui dégagent les fosses nasales en cas de rhume.

PHARMACOPEE FRANÇAISE 

Liste A (ansm Janvier 2019)

une Bétoine dressée sur la Côte de Char
à St MORE (Yonne, 89)

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1) Bibliographie générale :

Jan VOLAK – Jiri STODOLA « Plantes médicinales » p. 283

H.LECLERC « Précis de phytothérapie » p. 271-272

Dr Henri LECLERC « L’Hortulus de Walafrid Strabus » in Bulletin de la Société d’Histoire de la Pharmacie n°59 ; Juillet 1928, Vol 16 ; p. 101

Paul-Victor FOURNIER « Dictionnaire des Plantes médicinales et vénéneuses de France » p. 162-164

Gérard DUCERF « L’encyclopédie des Plantes bio-indicatrices » Vol2 p.284

2) Ouvrages anciens :

Antonius MUSA « De Herba Vettonica » sauvegardé dans le Codex Vindebonensis 93, conservé à Vienne

Aulus Cornelius CELSIUS « Traité de Médecine » Trad fr. Henri DE NINNIN, Paris, 1838, p. 233-234

DIOSCORIDE in : Pietro Andrea MATTHIOLI « Commentaires de M. Pierre André MATTHIOLI, médecin senois, sur les six livres de Ped. Dioscoride Anazarbéen, de la Matière Médicinale » trad. Jean DES MOULINS, Lyon, éd. de 1572, livre 4, chap. 1, p. 519-520

Nicolas LEMERY « Pharmacopée Universelle », 1729, p. 745-746

Nicolas LEMERY « Dictionnaire universel des drogues simples » Paris, 1760, p. 107-108

FOUCRET, MARET, DUHAMEL « Encyclopédie Méthodique : Chymie, pharmacie et métallurgie » Tome 2, Paris, 1792 (§ Bétoine et Baume Polychreste de Bauderon / M. WILLEMET) p. 550-551

François Victor MERAT de VAUMARTOISE , Adrien Jacques DE LENS « Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique » 1829, Vol 1, p. 584-585

François-Joseph CAZIN « Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes » 1868, p. 192-194

3) Articles scientifiques :

(articles classés en ordre chronologique, des plus anciens aux plus récents) :

SKALTSA HD, DEMETZOS C, LAZARI D, SOKOVIC M. « Essential Oil analysis and antimicrobial activity of eight Stachys species from Greece » Phytochemistry 2003 Oct ; 64(3) : 743-52 (Athens University, Greece)

KHANAVI M, SHARIFZADEH M, HADJIAKHOONDI A, SHAFIEE A. « Phytochemical investigation and anti-inflammatory activity of aerial parts of Stachys byzantina C. Koch » J. Ethnopharmacol. 2005 Mar ; 97(3) :463-68 (Tehran University, Iran)

SAEEDI M, MORTEZA-SEMNANI K, MAHDAVI MR, RAHIMI F. « Antimicrobial studies on extracts of four species of Stachys » Indian J. of Pharmaceutical Sciences 2008 May-Jun ; 70(3) : 403-6 (Mazandaran University, Iran)

HAJDARI A, MUSTAFA B, FRANZ C, NOVAK J. « Variability of essential oils of Betonica officinalis (Lamiaceae) from different wild populations in Kosovo » Nat. Prod. Commun. 2011 Sept ; 6(9) : 1343-6

WEBOGRAPHIE 

www.fr.wikipedia.org
www.wikiphyto.org
www.isaisons.free.fr
www.mr-plantes.com
www.complements-alimentaires.co
www.mieux-se-connaître.com
www.medisite.fr/dictionnaire-des-plantes-médicinales

Par Dr Dom COQUERET

Le lundi 31 juillet 2017

Mis à jour le 16 août 2019