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BISTORTE

BISTORTE

Polygonum bistorta L.

syn. Bistorta officinalis Delarbre

syn. Persicaria bistorta (L.) Sampaio

Article révisé en Août 2019

Bistortes dans une prairie humide
des Monts Lozère
FINIELS, 48, Lozère

Noms vernaculaires :

Renouée bistorte, Serpentaire rouge, Couleuvrée, Feuillotte, Faux-épinard
« Polygonum » vient du grec « poly-gonon » qui signifie « beaucoup de genoux », allusion aux nombreux nœuds de la tige.
« Renouée » indique qu’il s’agit d’une plante à tige « noueuse ».
et « Bistorta » veut dire en latin « deux fois tordue », allusion à la forme de la racine repliée sur elle-même.

A cause de cette racine tordue, repliée sur elle-même comme un serpent, la plante fut longtemps appelée « serpentaire » ou « couleuvrée ».

BOTANIQUE 

Famille des Polygonacées

La plante est pérenne, née d’un rhizome puissant, tortueux, replié plusieurs fois sur lui-même comme un serpent lové, brun à l’extérieur, rougeâtre-rosé à l’intérieur.
La tige, atteignant 50 à 70cm, est ronde avec des nœuds.
Les feuilles basales sont en rosette, lancéolées et grandes (20-25cm), longuement pétiolées, avec un lobe décurrent sur le pétiole, vertes sur le dessus et blanchâtres au-dessous ; puis chaque feuille est alternée, en diminuant de taille, amplexicaule, ayant une gaine membraneuse ou « ochréa » enserrant la tige.
Au sommet de chaque tige est un épi unique, compact de 4 à 5 cm de long, portant de nombreuses fleurs roses, à 5 pétales ovales, 8 étamines, et un ovaire trigone ; le fruit est un akène.

Note : la Bistorte est à rapprocher d’autres « Renouées », au sein du genre Polygonum :
 Polygogum aviculare, la Renouée des Oiseaux, une adventice des cultures qui s’étale prostrée sur des sols laissés à nu après les moissons.
 Polygonum persicaria, la Renouée Persicaire appelée aussi « Renouée à feuilles de Patience ».
 Polygonum hydropiper, la Renouée Poivre d’eau qui pousse en zones marécageuses.
Elles possèdent des propriétés thérapeutiques proches.

Bistortes près du Col de FINIELS
48, Lozère

HABITAT 

La Bistorte est une plante de montagne qui pousse entre 300m et 2400 m d’altitude, répandue dans tout l’hémisphère Nord (en Asie du Cachemire au Sikkim ; et en Sibérie) ; elle est sub-boréale dans les pays scandinaves et en Amérique du Nord jusque dans l’Alaska. En France, on la rencontre dans le Massif Central, les Vosges, et les Alpes. Elle affectionne les prairies paratourbeuses, les prairies humides, au bord des ruisseaux. Elle est rare en plaine, et n’existe pas sur le pourtour méditerranéen.

USAGE MEDICINAL 

1) Historique et usages traditionnels 

L’Antiquité a connu ces Renouées sous le nom de « polygonon » ou « crataeogonon » (qui semble avoir désigné la Persicaire).

Ce n’est qu’au XVI° que MATTHIOLI, médecin et botaniste italien, rapporte « l’usage des Herboristes de toujours prescrire ensemble les racines de Bistorte et de Tormentille, en breuvage, dans les dysenteries, et pour porter l’enfant à terme ; en poudre pour arrêter les saignements des plaies, souder les plaies, et pour guérir les ulcères rebelles ».
Et, comme les racines de la plante avaient la forme d’un serpent... « Les racines de Bistorte sont spécialement bonnes aux morsures des serpents venimeux, d’où vient qu’on l’appelle Serpentine ».

Jean FERNEL, qui fut le médecin du roi Henri II de Navarre et de Catherine de Médicis, fut amené à traiter une « cruelle épidémie de dysenterie » qui ravagea en 1538 une partie de l’Europe. Il utilisait un mélange de racines de Bistorte, de Gentiane, et de Tormentille, et des semences d’Epine-Vinette.

A cette époque, le « Diascordium » était un électuaire astringent et narcotique inventé par FRACASTOR (un médecin italien du XVI° siècle) qui contenait notamment des feuilles de Scordium, du Pavot, et ce même mélange de racines de Bistorte, Gentiane, et Tormentille. Il traitait les diarrhées avec ou sans coliques, et devint l’un des principaux remèdes de la Pharmacopée Maritime occidentale au XVIII° siècle.

Nicolas LEMERY, apothicaire à Paris à la fin du XVII° siècle, dit de la racine de Bistorte qu’ elle « est astringente, propre à résister au venin, pour arrêter les vomissements, les cours de ventre et les hémorragies, pour empêcher l’avortement ».

William CULLEN, médecin écossais du XVIII° siècle, utilisait un mélange de racines de Bistorte et de Gentiane comme fébrifuge, dans les fièvres intermittentes, à la posologie de « 3 drachmes par jour ».

Au XIX° siècle, MERAT considérait la plante comme « un des meilleurs astringents indigènes ». « On prescrit cette racine dans les diarrhées, les flux, les leucorrhées, etc. CULLEN l’a employée comme fébrifuge en doublant la dose ordinaire, qui est d’un gros en poudre et de deux en décoction ; on s’en sert aussi en gargarisme contre les aphtes, le scorbut, etc., et pour fortifier les gencives ».

CAZIN aussi, à la fin du XIX° siècle, considérait encore la racine de Bistorte comme un « puissant astringent ». « Elle réussit contre les flux muqueux, les hémorragies passives, les écoulements de l’urètre, les leucorrhées, les diarrhées, la dysenterie ». Lui-même affirme y avoir eu recours avec succès dans des hémorragies et du mélaena. Il traitait aussi les leucorrhées avec un vin associant rhizome de Bistorte, Absinthe, et racine d’Aunée (macérés dans du vin blanc). Elle peut remplacer la racine de Ratanhia dans le traitement local des fissures anales. Sa décoction en gargarisme réussit dans l’engorgement chronique des amygdales, raffermit les gencives, et déterge les aphtes.

LECLERC utilisait encore au début du XX° siècle ses propriétés « styptiques » (c’est-à-dire astringente et anti-hémorragique) ; et l’a expérimenté, en préparant un vin de racine de Bistorte à 125 g/litre, comme remède tannique chez les tuberculeux.

L’Abbé FOURNIER en 1947 reconnaissait à la plante une triple action : astringente, tonique, et vulnéraire. Les indications mentionnées sont les diarrhées, les hémorragies, les inflammations génitales, les fissures anales, les plaies, et les ulcères ; ainsi que les ulcérations buccales et gingivales, et les amygdalites.

Les connaissances ethnobotaniques sur l’emploi pluriséculaire du rhizome de Bistorte sont intéressantes à relever ; selon VORONKOVA :
En Médecine chinoise, la Bistorte permet de traiter :
 des diarrhées sanglantes (dysenterie)
 les diarrhées des gastro-entérites aiguës
 les infections respiratoires aigües avec toux
 les épistaxis
 les aphtes buccales
 les envenimations par morsures de serpents

et en Médecine Traditionnelle Russe :
 les hémorragies
 la dysenterie et le choléra
 des infections : cholécystite, cystite, vaginite
 des brûlures et morsures d’animaux.

un bel épi rosé de Bistorte

2) Composition & Pharmacologie

Seul le rhizome est utilisé en médecine. Il recèle d’incroyables richesses :
 30 % d’amidon, et surtout de précieux tanins (15%-20%) galliques et catéchiques, responsables des propriétés astringentes, antidiarrhéiques, antihémorragiques. Parmi eux, ont été isolés :
. les acides gallique et chlorogénique, aux propriétés anti-inflammatoires, antibactériennes et antitumorales.
. le Friedelanol, un triterpénoïde (également trouvé dans le chêne-liège) qui est antioedémateux et anti-inflammatoire.
. parmi les ellagitanins, l’acide ellagique, qui est un polyphénol antioxydant.
. le Bistortaside : un tanin gallique au pouvoir antibactérien

 des cycloartanes (qui sont des triterpénoïdes)

 de l’acide oxalique (1%)

 des flavonoïdes aglycones comme la quercétine et le kaempférol ;
de la myricétine, présente aussi dans la Vigne rouge, le Raisin, la Renouée des oiseaux, la Potentille ansérine...) ; elle est anti-inflammatoire, antioxydante et hépatoprotectrice, réduit le risque coronarien et vasculaire cérébral, et posséderait un effet préventif du cancer mammaire.
et d’autres flavonoïdes : la lutéoline, la taxifoline, l’avicularine.

 Par ailleurs, un pentahydroxyflavone et un diméthoxyflavone ont été isolés et trouvés responsables des propriétés coagulantes (anti-hémorragiques).

 Le rhizome contient encore des acides-phénols  : férulique, sinapique, vanillique, gentisique, para-coumarique, salicylique, succinique...qui sont des « phénylpropanoïdes » dérivés de l’acide cinnamique ; ils sont antiseptiques, antimicrobiens ; certains sont anti-inflammatoires ; on en utilise certains comme aromatiques ou conservateurs.

 enfin : de la Vitamine C, du Calcium et du Magnésium.

3) INDICATIONS THERAPEUTIQUES de la BISTORTE 

Les indications pouvant être retenues sont :
=> les syndromes diarrhéiques : gastro-entérites, diarrhées saisonnières, voire dysenterie (selles cholériformes très liquides) où l’astringence du rhizome entraine une réduction des sécrétions intestinales et des pertes hydriques ; diarrhées sanglantes des colites ulcéreuses ; colite avec selles molles accompagnées de coliques abdominales. Dans cette indication, la Bistorte a la même action que la Potentille Tormentille, et l’usage traditionnel conseille de les associer pour obtenir une synergie thérapeutique.

=> les syndromes hémorragiques « passifs » (c’est à-dire des saignements intercurrents, non-traumatiques), quelqu’en soit les causes locales : épistaxis (saignement de nez), saignements digestifs (hématémèse ou mélaena), métrorragies (saignements utérins), hémoptysie (crachement de sang, dont la cause peut être tuberculeuse, embolique, tumorale). L’effet recherché est purement symptomatique : bénéficier du pouvoir hémostatique de la plante en vue d’une réduction du saignement, avant d’entamer l’indispensable bilan étiologique.

=> les catarrhes des voies respiratoires ; la Bistorte réduit par son astringence les mucosités, et réduit l’inflammation des muqueuses.

=> les infections et inflammations des voies uro-génitales : uréthrite, cystite, métrite... où la Bistorte exerce une action antibactérienne.

=> les inflammations buccales et oropharyngées : aphtes buccales et gingivales, gingivites, pharyngites et amygdalites, pour lesquelles la Bistorte, employée en gargarismes, assure une action antiseptique, anti-inflammatoire locale, et cicatrisante.

=> enfin les plaies et ulcères ; la plante étant vulnéraire et cicatrisante.

USAGE CULINAIRE 

 Le rhizome, d’une saveur acerbe, est « immangeable » à moins d’en atténuer l’amertume par plusieurs lavages. Il a pourtant servi de nourriture aux habitants de Sibérie. En Russie, on incorporait de la fécule de son rhizome dans le pain en période de disette.

 Les longues feuilles basales sont comestibles, de même que l’oseille (de la même famille des Polygonacées). C’est un bon légume sauvage qui se cuisine comme des épinards.

AUTRES USAGES 

La racine de Bistorte a été utilisée en tannerie ; elle colore le cuir en rouge-brun.

RECOLTE 

Seule la partie souterraine est récoltée à des fins médicinales.
Les rhizomes s’arrachent en fin d’automne jusqu’en Décembre ; les faire sécher ; puis les conserver en bocaux à l’abri de la lumière.

EMPLOI MEDICINAL et POSOLOGIE 

Seul le rhizome est employé en médecine :
 en DECOCTION de racines : 30-40 g/Litre (pour F. COUPLAN) et jusqu’à 30-60 g/Litre (pour CAZIN et FOURNIER), en pratique : de 2 cuillères-à-café à 1 cuillère-à-soupe de racines en vrac par tasse ; laisser bouillir 5 mn. et encore infuser pendant 10 mn. prendre 3 à 4 tasses par jour en cas de diarrhées. Associer à la TORMENTILLE ou à une décoction de SALICAIRE.
Cette décoction sert aussi en gargarismes plusieurs fois par jour dans les aphtes, gingivites, ou amygdalites.

 en POUDRE de rhizome : 2 à 4 g/jour (pour LECLERC) mais jusqu’à 10g dans certains vieux ouvrages en cas de dysenterie.

 en TEINTURE MERE : POLYGONUM BISTORTA TM 50 gouttes x 3 à 4 fois /j.
Cette forme galénique est très pratique, pour un usage immédiat en cas de diarrhées.
En cas d’emploi comme fébrifuge, associer à la GENTIANE (Gentiana lutea TM).

 en VIN MEDICINAL de racines de Bistorte : 125 g/Litre (pour LECLERC), jusqu’à 180 g/L. (pour COUPLAN) à laisser macérer pendant quelques jours dans du muscat ; posologie : 2 à 3 petits verres à madère par jour.

 en SUPPO (0,50 g d’extrait, 5 g de beurre de cacao) ou en POMMADE ; mais la plante a été supplantée par les suppos et pommade au RATANHIA.

un champ de Bistortes
au Hameau de l’HÔPITAL
48, Lozère

PHARMACOPEE FRANÇAISE 

Liste A (ansm Janvier 2019)

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 

1) Bibliographie générale :

Jan VOLAK – Jiri STODOLA « Plantes médicinales » p. 231

H. LECLERC « Précis de Phytothérapie » p. 115-116

Gérard DEBUIGNE – François COUPLAN « Petit Larousse des Plantes Médicinales » p. 136-137

Pr J-P CHAUMONT – Dr J-M MOREL « Se soigner avec les plantes de Bourgogne » p. 38-39

Paul-Victor FOURNIER « Dictionnaire des Plantes Médicinales et vénéneuses de France » p. 820-821

Gérard DUCERF « Encyclopédie des Plantes bio-indicatrices » Vol 1, p. 253

C.P KHARE « Indian Medicinal Plants : an illustrated Dictionnary » p. 509

2) Ouvrages anciens :

Pierandrea MATTHIOLI, DU PINET de NOROY « Commentaires de M. André MATTHIOLUS médecin senois sur les six livres de Pedacius Dioscoride Anazarbéen, de la matière médicinale » Ed.1605 p. 354 ; et Ed. 1627 Livre III, p. 363

Nicolas LEMERY « Traité universel des Drogues Simples » Paris, 1714 (2° éd.), p. 127-128

William CULLEN « A treatise of the Materia Medica », Edimburg, 1789, Vol 2, p. 40

Jean-Baptiste de MONET LAMARCK, Jean-Louis-Marie POIRET « Encyclopédie méthodique botanique » 1804, Tome 6°, p. 134

Gabriel ANDRAL « Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques », 1831, Vol 6, p. 296-297 (pour le Diascordium)

François-Victor MERAT, Adrien-Jacques DE LENS « Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique générale » 1837, Vol 3, p. 516

3) Articles scientifiques :

(articles classés en ordre chronologique, des plus anciens aux plus récents) :

SMOLARZ HD « Comparative study on the free flavonoïd aglycones in herbs of different species of Polygonum L. » Acta Pol. Pharm. 2002, Mar-Apr ; 59 (2) : 145-8 (Lublin University, Poland)

LIU XQ, HUA HM, LIU J, CHEN FK, WU LJ. « A new tannin-related compound from the rhizome of Polygonum bistorta L. » J. Asian Nat. Prod. Res. 2006, 8 : 299-302 (Shenyang University, China)

ALI MZ, JANBAZ KH, MEHMOOD MH, GILANI AH « Antidiarrheal and antispasmodic activities of Polygonum bistorta rhizomes are mediated predominantly through K+ channels activation » Bangladesh J. pharmacol 2015 ; 10 : 627-34 (Karachi & Islamabad, Pakistan)

VORONKOVA M.S, VYSOCHINA GI « Bistorta Scop. Genus (Polygonaceae) : Chemical Composition and Biological Activity » Chemistry for Sustainable Developpement 22 (2014) 207-212 (Central Siberian Botanical Garden, Novosibirsk, Russia)

WEBOGRAPHIE 

www.fr.wikipedia.org
www.wikiphyto.org
www.complements-alimentaires.co
www.herbes-medicinales.ca

Par Dr Dom COQUERET

Le lundi 31 juillet 2017

Mis à jour le 17 août 2019