HERBE à ROBERT
Geranium robertianum L.
Article révisé en Septembre 2019
Noms vernaculaires :
Géranion, Géranium Robert, Herbe à l’esquinancie, Bec de grue, Herbe rouge
BOTANIQUE
Famille des Géraniacées
Plante vivace annuelle, ou bisannuelle ; atteignant 30 à 40 cm ; dont les tiges ramifiées sont rougeâtres et velues ; les feuilles opposées sont composées de 3 à 5 folioles, le plus souvent trifoliées ; chaque foliole étant très découpée ; elles ressemblent à la feuille de cerfeuil. Les fleurs, portées par un pétiole à l’aisselle des feuilles, poussent par paires ; elles ont 5 pétales libres et arrondis (ce qui le distingue du Géranium mou - Geranium molle - dont les pétales sont échancrés) de couleur rose-pourpre, avec des nervures plus pâles ; 10 étamines, et un pistil à 5 styles ;
Le fruit à 5 coques possède un long bec recourbé qui a donné le nom à la plante : « bec-de-grue ». Cette dénomination de la plante est ancienne.
En effet, en grec : « geranion » vient d’une racine indo-européenne « ger » qui signifiait la « voix », la « gorge », en référence au bruit rauque émis par les grues en vol. Plusieurs variétés de géraniums sauvages, au Moyen-Age, furent dénommés « Bec-de-grue » (ou « bec-de-cigogne » dans les pays germaniques). Chaque « coque » ou carpelle se détache, retenue par une fine attache, avant de s’ouvrir (phénomène de déhiscence) pour propulser ses graines.
HABITAT
Les Géraniums sont originaires de l’Asie occidentale (Turquie, Iran, Afghanistan, Syrie, Irak), ils se sont répandus dans les régions tempérées de l’hémisphère Nord. L’Herbe à Robert est très fréquente en Bourgogne : on la rencontre dans les vignes et les vergers, mais elle croît surtout dans les lieux incultes, les talus, et les éboulis (c’est une plante rudérale).
USAGE MEDICINAL :
1) Historique et usages traditionnels
Les Anciens eurent du mal, semble-t-il, à distinguer plusieurs sortes de géraniums, si bien qu’il est difficile d’attribuer les quelques propriétés médicinales reconnues à l’époque par DIOSCORIDE, PLINE, puis GALIEN, à une variété précise.
Aux dires de DALECHAMPS qui compila les textes anciens, selon « l’ancien Herbier » (celui du botaniste grec DIOSCORIDE), le « Pied de pigeon » est « fort souverain pour les tranchées du ventre ». Et « l’Herbe à Robert est fort propre pour les playes… Elle est singulière pour guérir les ulcères des mamelles et des parties honteuses. Or il n’y a point d’espèce de Géranion plus propre à estancher le sang… » .
Le « Pied de pigeon » était une vieille appellation de plusieurs variétés de géraniums sauvages, se référant à la forme découpée des feuilles semblable aux traces des pattes du volatile. Elle a résisté au temps pour indiquer encore le « Géranium des Colombes » (Geranium columbarium).
Quant à notre variété d’ « Herbe à Robert », son appellation en vieux français apparut au Moyen-Age, soit à partir du latin « ruber » (pour indiquer ce géranium « rouge ») ; soit en référence à Saint RUPERT, d’origine franque, et premier évêque de Salzbourg vers l’an 700, qui en aurait recommandé l’usage.
MATTHIOLI en 1565, qui l’appelle « Bec de grue » à cause de la forme de sa graine, cite l’espèce appelée « Ruberta » à cause de la rougeur de ses feuilles. Et dans le « Eicones Plantarum sev Stirpium » de Jacobus THEODORUS (dit TABERNAEMONTANUS) paru à Franckfort en 1590, l’icône 56 est une gravure de la plante intitulée « Geranium Rupertianum ». De l’allemand Rupert, la plante prit le nom en français de « Robert ».
Un médecin anglais, bien-nommé « Robert » JAMES, en 1747, le décrivait « astringent et vulnéraire », « bon pour les blessures et les meurtrissures », pour la dysenterie, les « écrouelles et tumeurs scrofuleuses », les maladies néphrétiques. Les feuilles écrasées dans du vin, et macérées pendant la nuit, avaient la réputation d’arrêter toutes sortes d’hémorragies. Il dit encore : « Elle est d’une efficacité extraordinaire dans les cancers des mamelles », et dans cette pathologie, des chirurgiens ont assurés que le Géranium et le Phellandrium étaient les plus efficaces.
En 1837, MERAT précise : « On s’en sert comme astringent contre les maux de gorge, en gargarisme, à la dose d’une petite poignée dans une chopine d’eau ; on le prescrit dans les hémorragies ; on l’applique comme résolutif sur les tumeurs, sur l’engorgement des mamelles, l’œdème, etc ; on le dit utile contre les graviers, dans l’ictère, les fièvres intermittentes… On nomme parfois cette plante Herbe à l’esquinancie ».
(L’esquinancie est un vieux mot qui désignait l’angine blanche).
Au XIX° siècle, le phytothérapeute CAZIN le cite comme « un peu astringent ». Il l’a encore vu à son époque utilisé en médecine vétérinaire dans l’hématurie des bestiaux. Il est « diurétique non-irritant », et utilisé dans les néphrites calculeuses. Il est « en usage en gargarisme dans les engorgements des amygdales et vers la fin des angines ». La plante broyée, ou son suc exprimé, s’avère « très efficace sur le cancer ulcéré comme palliatif ».
2) Composition & Pharmacologie
L’analyse des composants de l’Herbe à Robert a révélé : (GRACA, 2016)
– une richesse en tanins (jusqu’à 35%) ; la Pharmacopée française exige actuellement pour la commercialisation un taux en tanins supérieur à 10%. Le principal retrouvé, la Géraniine est un ellagitanin dont la concentration varie selon l’espèce de Géranium ; sa meilleure concentration (12%) se trouve dans une espèce japonaise le Geranium thunbergi utilisé au Japon comme antidiarrhéique. L’Herbe à Robert en contient 9,8%.
On lui connaît un pouvoir cytotoxique sur les cellules du cancer épidermoïde du larynx (NEAGU, 2013). Cette inhibition de l’activité tumorale pourrait en faire un agent chimiothérapeutique potentiel.
La Géraniine est métabolisée par le système enzymatique hépatique du glutathion en acide chebulagic qui a des propriétés antibactérienne et antifongique, immunosuppressive, hépatoprotectrice, et antidiabétique.
Sont présents également des tanins condensés (proanthocyanidine) (BEN JAMIA, 2013)
– des flavonoïdes et polyphénols dont l’analyse (FEDOREA, 2005) a révélé surtout 7 composants : principalement l’acide ellagique, qui avec l’acide gallique, sont des inhibiteurs de cancérogenèse ; ainsi que : quercétine et isoquercétine, kaempférol, acide caftarique, rutoside et hyperoside. Ils ont tous des effets antioxydants, anti-inflammatoires…
– une Huile Essentielle (HE) en petite quantité (< 0,05%) qui a été analysée : elle contient principalement des monoterpènes (en proportions décroissantes) : Linalol (22,9%), gamma-terpinène (13,9%), germacrène-D (7,8%), limonène (5,3%) géraniol (4,4%), alpha-terpinéol (3,8%) phytol (3,8%) (PEDRO, 1992).
Noter que le géraniol, ici en faible quantité, est présent chez la plupart des géraniums, dans beaucoup de fruits, et bien d’autres plantes ; on l’extrait en grande quantité du Cympobogon ou Citronnelle de Ceylan et de Java, pour son « parfum de rose », et ses propriétés insecticides (notamment anti-mite) ; il est aussi antibactérien et antifongique ; il inhibe la croissance de plusieurs types de cellules cancéreuses.
L’HE contient aussi des Acides Gras (49%) dont les principaux sont : l’acide hexadécanoïque (ou palmitique), l’acide dodécanoïque (ou laurique), l’acide tétradécanoïque (ou myristique) et l’acide octadécadiénoïque (ou linoléique).
– des minéraux : Ca, Mg, Fe, Zn
– noter la possibilité de concentration par la plante de métaux toxiques comme le plomb ou le nickel dans des environnements pollués par l’industrie.
Les propriétés pharmacologiques identifiées sont :
– un effet antioxydant puissant, dû à ses polyphénols (NEAGU E, 2010) et (BEN JEMIA, 2013)
– des propriétés antimicrobiennes sur le Staphylococcus aureus, le Streptococcus mutans, et l’Escherichia coli, ainsi qu’antimycosique sur l’Aspergillus fumigatus (RADULOVIC, 2012)
– un effet anti-inflammatoire, par activité anti-hyaluronidase et anti-élastase (PIWOWARSKI, 2011)
– un effet anti-hyperglycémique chez le rat (FERREIRA, 2010)
– une action cytotoxique (antitumorale), notamment sur le carcinome laryngé, attribuée à certains polyphénols (PAUN, 2012)
3) Indications thérapeutiques de l’HERBE à ROBERT
On peut retenir comme indications cliniques :
=> les diarrhées (effet astringent des tanins)
=> comme hémostatique local : appliqué sur une plaie ; et anti-hémorragique, dans divers saignements, mais surtout dans les ménorragies (règles trop abondantes) et les métrorragies (de toutes natures : métrite, fibrome, cancer du col utérin)
=> dans les infections ORL : il soulage, en gargarismes, les angines blanches, herpangine, pharyngites, laryngites avec enrouement, les gengivites hémorragiques et gingivo-stomatites… en exerçant une action locale à la fois anti-infectieuse et anti-inflammatoire.
=> les gastrites y compris ulcéreuses
=> une action favorable dans le diabète léger (effet hypoglycémiant démontré)
=> vulnéraire, il désinfecte, arrête le saignement, active la cicatrisation des plaies ; et a été utilisé pour guérir des ulcères cutanés, et même pour soulager des tumeurs ulcérées mammaires, des adénopathies… en vertu de ses actions antibactérienne et anti-inflammatoire.
Remarque : Le GERANIUM MOU , Geranium molle, est très proche. Ses feuilles sont palmatifides à 5-7 lobes (et plus arrondies, ressemblant à des feuilles de mauves) ; les 5 pétales sont échancrés (en forme de cœur). Egalement originaire d’Asie centrale, il s’est répandu en pays tempérés dans les champs et les terrains cultivés.
Il possède globalement les mêmes propriétés thérapeutiques.
RECOLTE
Les parties aériennes, sauf la racine. Laisser sécher dans un local bien aéré. Conserver en bocaux à l’abri de la lumière.
EMPLOI MEDICINAL et POSOLOGIE
– en INFUSIONS : 2,5 g de parties aériennes séchées (1 cuillère-à-café) par 1/4 de litre d’eau, soit 5 g / demi-litre (FLEURENTIN) x 3 à 4 fois par jour, dans les diarrhées, gastralgies, ou ménorragies.
– en DECOCTION pour usage local : à 50-60 g / Litre (soit 25-30 g/ demi-litre) en gargarismes pour le mal de gorge, angine, laryngite.
– en TEINTURE MERE : (GERANIUM ROBERTIANUM TM) 30 à 50 gouttes x 2 à 3 fois/j. ponctuellement pour traiter une diarrhée, ou par cures plus longues s’il s’agit de réduire une ménométrorragie.
– en Applications externes : utiliser la décoction à 60g/litre (mais FOURNIER indique une posologie nettement plus élevée jusqu’à 200g/Litre) laisser refroidir ; sur une plaie sanguinolante pour en arrêter le sang, sur des plaies ulcérées ; en cataplasmes sur la gorge (en cas d’angine) ou sur le cou ou les aisselles (en cas d’adénopathies) ; en bains de siège pendant 10-15 mn dans les hémorroïdes, plusieurs jours de suite.
PHARMACOPEE FRANÇAISE
Liste A (ansm Janvier 2019)
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1) Bibliographie générale
Jan VOLAK – Jiri STODOLA « Plantes médicinales » p 163
H. LECLERC « Traité pratique de phytothérapie » p 130 et 187
Paul-Victor FOURNIER « Dictionnaire des Plantes médicinales et vénéneuses de France », 1947, ré-éd. 2010 p. 461-463
Pr J-P CHAUMONT, Dr J-M MOREL « Se soigner avec les plantes de Bourgogne » p 118-119
Jacques FLEURENTIN « Du bon usage des plantes qui soignent » p 184-185
2) Ouvrages anciens
Jacobus THEODORUS (Tabernaemontanus) « Eicones Plantarum sev stirpium » Franckfort, 1590, icon. 56 (Biblioteca Digital del Real Jardin Botanico de Madrid)
Jacques DALECHAMPS « De l’histoire générale des plantes » Lyon, 1615, Tome second, Livre XI, chap XXXV, p 167-173
Robert JAMES « Dictionnaire universel de médecine, de chirurgie, de chymie, de botanique, de pharmacie, d’histoire naturelle », 1747, Vol 4, p 105
François Victor MERAT, Adrien Jacques DE LENS « Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique générale » Bruxelles, 1837, Vol 2, p 331
François Joseph CAZIN « Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes » Paris, 1868 (3° édition) p 477-478
3) Articles scientifiques
(classés en ordre chronologique, des plus anciens au plus récents) :
KARTNIG T, BUCAR-STACHEL J. « Flavonoïds from the Aerial Parts of Geranium robertianum » Planta Med. 1991 Jun ; 57 (3) 292-93 (Graz Universität, Osterreich)
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